INTERVIEW DE TAKESHI YAMASHIMA

1/ Sensei, 2017 marque la 15ème année de votre venue en France. Quel bilan pouvez-vous faire de ces 15 années d’enseignement ?           

 

Je suis ému que 15 ans soient déjà passés. Même si ça n’a été que le temps de quelques jours par an, je me sens heureux d’avoir pu pratiquer avec tant de monde. Pour ma part, je pense que cela a été l’occasion d’une bonne pratique. Pour toutes celles et ceux qui ont participé, j’espère avoir pu leur apporter quelque chose d’utile.

Au début, je pratiquais sans connaître les participants, mais au cours des années, j’ai commencé petit à petit à les connaitre, à savoir que telle personne était "dure", telle personne était "souple" ou que telle personne était "puissante".

Au fur et à mesure des années, j’ai commencé à noter un changement. Cette personne que je me rappelais "dure", commençait à devenir de plus en plus "souple". Cela m’a donc amené à penser que les idées que vous aviez de la pratique de l’Aïkido avaient également changées.

 

2/ Quelle est votre vision de l’Aïkido en France ?

 

Je pense qu’il y a en France beaucoup de personnes qui apprécient et pratiquent l’Aïkido. J’entends que beaucoup de séminaires ont lieu à divers endroits, j’en déduis qu’il y a beaucoup d'enthousiasme à vouloir explorer la pratique de l’Aïkido. J’ai l’impression que cela compte comme une partie importante de votre vie.

 

3/ Quelle est l’importance de l’Aïkido dans le monde moderne d’aujourd’hui ?

 

Le but de pratiquer l’Aïkido varie d’une personne à une autre, cela peut être par manque d'exercice, pour relâcher le stress, pour perdre du poids, pour rester en bonne santé, pour s’améliorer, pour l'auto-défense, pour arriver à se connaître ou se réaliser. Bien sûr, en continuant la pratique, les objectifs peuvent changer. Les buts des gens qui pratiquent l’Aïkido sont utiles, ils servent à la société et je pense que la société a besoin de l’Aïkido.

 

4/ L’Aïkido peut-il encore évoluer ? Si oui, comment et en quoi ?

 

L’évolution de l’Aïkido est un sujet difficile. L’Aïkido a été fondé à l'origine par Morihei Ueshiba Sensei, et il a évolué au cours de sa vie. Aujourd’hui il est difficile d’envisager son évolution sans d’une certaine manière chercher à dépasser le travail de O’sensei.

En effet, l’Aïkido a été inventé et amélioré par une sorte de génie qui, au cours des nombreuses années et à l’occasion de nombreuses expériences, a forgé son corps et son esprit. L’Aïkido a atteint une certaine forme en lien avec l’époque particulière oú O’sensei a vécu.

Plutôt que l'évolution, il faudrait rechercher les idées que O’sensei a eues sur l’utilisation du corps, sur la sensation de l'unité avec l'univers, sur le mouvement naturel etc.

Je pense que ce qui est important, c’est de profiter de l’Aïkido afin que chacun puisse mener une vie remplie.

 

5/ D’après-vous, quels sont les axes de progrès que nous pourrions mettre en place pour améliorer notre pratique ?

 

Bouger naturellement

Dans nos activités quotidiennes, lorsque nous utilisons nos bras et nos jambes, nous le faisons sans penser particulièrement. Dans la vie quotidienne, nous nous levons, nous nous asseyons, nous marchons, nous étendons nos bras, nous poussons, nous tirons, etc., nous bougeons sans focaliser la pensée sur ce qui va de soi naturellement. Pour de nombreuses techniques, il s’agit de répéter les mouvements routiniers de la vie quotidienne. Je pense que la pratique d’une technique consiste à lier, à connecter entre eux des mouvements naturels de la vie quotidienne.   

 

Utiliser l’énergie du partenaire

Notre force n’est pas ce qui importe. A moins d’être très puissant, il est impossible de soulever ou de projeter quelqu’un de lourd. Même en entrainant ses muscles, son physique, il reste toujours une limite. O’sensei avait pour étudiant un sumo-tori, je ne pense pas que O’sensei ait été plus fort que lui, pourtant, O’sensei le projetait aisément ou ne bougeait pas d’un pouce lorsque le sumo-tori tentait de le pousser.

Il avait une manière inexplicable d’utiliser le corps et l’esprit lui permettant de recevoir l’énergie du partenaire et de la lui renvoyer.

 

Donc, afin de pouvoir utiliser l’énergie du partenaire, il s’agit tout d'abord de la ressentir. Et pour se faire, il faut opérer un changement de son corps et son esprit. Il faut concentrer le corps entier sur une ligne flexible, ainsi l’énergie du partenaire sera plus facile à ressentir. Lorsque vous ressentez l’énergie du partenaire, il ne faut pas résister, mais utilisez son corps entier pour guider le partenaire et l’amener à bouger naturellement. Ce faisant, je pense que le partenaire bougeant de sa propre énergie sera content et convaincu.

 

6/ Vous nous avez parlé dans ce dernier séminaire de « sentiments » et « d’intention » dans la pratique. Pouvez-vous préciser vos propos ?

 

Lorsque vous faites un mouvement, il y a une certaine intention de faire quelque chose. De même dans la pratique, il y a évidemment une intention de faire quelque chose. Pratiquer sans penser à ce que l’on veut faire, on ne peut pas appeler cela une pratique. Par exemple, dans la vie quotidienne, s'il vous arrive de saisir le bras de quelqu’un, vous ne saisissez pas sans aucun objectif. Par conséquent dans la pratique, lorsque vous saisissez, je pense que vous le faites avec l’intention de ne pas laisser s'échapper le partenaire, de l’immobiliser... Chez le partenaire c’est pareil, lorsqu’il est saisi, il a une intention de s’échapper, de projeter, ou d’attaquer l’articulation, etc... Lorsque vous êtes débutants, pour mémoriser une technique, votre intention est concentrée sur comment bouger vos bras et vos jambes, cependant cette intention n’explore pas le pourquoi faire tel ou tel mouvement. Une fois que vous avez mémorisé les mouvements de la technique, il est nécessaire de rechercher pourquoi bouger de telle ou telle façon et de tenter de l’appliquer.    

 

7/ Quelle est la vision des Japonais sur l’Aïkido à la fois sur son sens et son contenu ?

 

Je ne crois pas que les japonais soient particulièrement différents des français. Comme toute personne de la planète qui aime et pratique l’Aïkido, chacun possède sa propre vision de l’Aïkido.

Néanmoins, il est important que chaque pratiquant puisse réfléchir à l’Aïkido que O’Sensei a fondé et poursuive l’Aïkido que O’Sensei a atteint. 

Pour conclure, je dirai que les idées sur l’Aïkido changent au fur et à mesure de la pratique continue, alors les idées que j'exprime ici ne reflètent que mon avis actuel.

 

Takeshi Yamashima

15 Janvier 2017

 

Propos recueillis par José LARONCELLE, Président du Comité Départemental de la FFAAA de la Seine Saint-Denis.

Traduction, Mizuki ISHIKAWA, pratiquante d'Aïkido à Utrecht (Pays-Bas).